Shein et les grands magasins français : de l’éphémère au retail permanent, un tournant stratégique

Voici un cas d’actualité à utiliser facilement en cours, pour gagner du temps de préparation

L’actualité récente autour de Shein, géant chinois de la fast fashion, illustre avec force les mutations contemporaines de la distribution.

D’abord positionnée comme pure player, l’enseigne a progressivement investi le terrain physique, expérimentant des pop-up stores puis des corners, avant d’annoncer en octobre 2025 son installation durable dans des grands magasins français en partenariat avec la Société des Grands Magasins (SGM). Ce basculement stratégique, qui survient après des expérimentations menées à Dijon et à Paris, suscite autant d’enthousiasme que de vives contestations, notamment de la part des Galeries Lafayette et de certaines marques partenaires. Preuve qu’en économie, comme en famille, tout le monde n’est jamais d’accord autour de la table 😉

Analyser ce cas revient à mobiliser conjointement les grilles de lecture du marketing, de l’économie et du droit, telles qu’enseignées en terminale STMG et en BTS commerciaux.

         

Une trajectoire commerciale progressive : du digital au physique

Shein s’est d’abord développée selon un modèle de pure player, fondé sur une maîtrise exceptionnelle du numérique : application mobile addictive, logistique mondiale rationalisée, exploitation intensive de la donnée pour ajuster en temps réel l’offre aux préférences des consommateurs. Ce modèle a permis une croissance fulgurante, mais il a montré ses limites en termes d’ancrage territorial et d’expérience sensorielle.

Pour contourner cet obstacle, la marque a organisé plusieurs événements éphémères. Le 26 juin 2025, elle a inauguré un premier pop-up store à Dijon, au 34 rue Piron, qui a accueilli plus de 26 000 visiteurs en dix jours, jusqu’au 5 juillet. Quelques mois plus tard, du 22 au 28 septembre 2025, Shein a réitéré l’opération à Paris, dans le Haut Marais, dans un espace pensé comme un « écrin » alliant mode et mise en scène événementielle. Ces initiatives avaient une double fonction : créer un effet de rareté et de nouveauté propre au marketing expérientiel, et tester in situ le potentiel d’une implantation physique.

Les retours favorables ont conduit Shein à franchir une étape supplémentaire. Le 1er octobre 2025, l’entreprise a annoncé, en partenariat avec la Société des Grands Magasins (SGM), l’ouverture de magasins permanents en France à partir de novembre 2025. Le BHV Marais à Paris a été choisi comme vitrine principale, avant un déploiement prévu dans cinq Galeries Lafayette de province (Dijon, Reims, Grenoble, Angers et Limoges).

     

Une stratégie marketing inscrite dans le multicanal et le modèle DNVB

L’évolution de Shein traduit une trajectoire classique de passage du digital vers le physique. L’enseigne n’abandonne pas pour autant son identité initiale : elle conserve sa logique de pure player, mais la complète désormais par une présence matérielle. Ce mouvement correspond à une stratégie de multicanalité, où chaque canal de distribution est conçu non pas comme substitutif, mais comme complémentaire. Les pop-up stores et les corners ont joué le rôle de laboratoires, tandis que les magasins permanents visent à installer la marque dans la durée et à séduire de nouveaux profils de consommateurs.

Par cette évolution, Shein s’inscrit progressivement dans la catégorie des Digital Native Vertical Brands (DNVB). Ces marques, nées sur Internet, cherchent à développer une relation directe et intégrée avec leur clientèle, tout en contrôlant étroitement leur chaîne de valeur. Le passage au retail physique est alors moins une rupture qu’un prolongement logique : il renforce la notoriété, améliore la confiance des consommateurs et favorise une expérience immersive, tout en soutenant une stratégie de fidélisation.

      

Des enjeux économiques ambivalents

D’un point de vue économique, l’accord entre Shein et SGM illustre une recherche d’effet d’agglomération : implanter la marque dans des espaces qui bénéficient déjà d’un flux important de consommateurs. Le BHV et les Galeries Lafayette offrent une visibilité sans équivalent pour un nouvel entrant étranger. De surcroît, la perspective annoncée de 200 créations d’emplois en France participe à légitimer cette implantation.

Cependant, ce partenariat comporte des risques. D’abord, il pourrait provoquer une cannibalisation interne, certaines enseignes présentes dans ces mêmes magasins craignant que Shein ne détourne une partie de leur clientèle. Ensuite, il menace l’équilibre du mix de marques que cherchent à maintenir les grands magasins : l’image « premium accessible » des Galeries Lafayette se trouve fragilisée par la cohabitation avec une enseigne associée à la fast fashion la plus agressive. Enfin, l’opération révèle les tensions croissantes entre les modèles économiques : celui du retail traditionnel, basé sur des marges plus élevées et une politique de marque, et celui de Shein, construit sur le volume, la rapidité et les prix cassés.

    

Les enjeux juridiques et réglementaires

Sur le plan juridique, la situation est particulièrement délicate. Les contrats de franchise et d’affiliation liant les Galeries Lafayette à la Société des Grands Magasins pourraient inclure des clauses relatives au positionnement de l’enseigne, que Shein viendrait contrarier. Les Galeries Lafayette, qui ont exprimé publiquement leur opposition dès octobre 2025, pourraient ainsi invoquer une atteinte à leur image de marque ou même un manquement contractuel.

À cela s’ajoutent des problématiques de concurrence : Shein est régulièrement accusée de pratiquer des prix artificiellement bas, reposant sur une optimisation fiscale et sociale à l’échelle internationale, ce qui pose la question d’une concurrence déloyale vis-à-vis des acteurs installés. D’autres enjeux juridiques concernent le droit de la consommation, en particulier la conformité aux règles européennes en matière de traçabilité, de sécurité et d’information des consommateurs. Enfin, l’entreprise est directement concernée par le devoir de vigilance et les normes européennes de responsabilité sociale et environnementale, qui se durcissent et pourraient limiter ses marges de manœuvre.

   

Un cas d’école pédagogique

Pour les enseignants et étudiants de terminale STMG et de BTS commerciaux, le cas Shein offre une matière riche et transversale.

  • En mercatique, il permet d’aborder la notion de pure player, l’évolution vers l’omnicanalité, l’expérience client en pop-up store et le modèle DNVB.

  • En économie / management, il illustre les logiques concurrentielles, les stratégies de domaine, les finalités (dont la RSE), l’effet d’agglomération, les enjeux de création et de destruction de valeur.

  • En droit, il met en lumière la question des contrats de franchise, du droit de la concurrence et des obligations légales liées à la consommation et à la RSE.

Prolongement pédagogique transversal

Un exercice pédagogique pourrait consister à organiser un débat dans votre classe. Il s’agirait de répartir les étudiants en deux groupes : à partir d’arguments étayés, l’un des groupes défendrait la stratégie de Shein au nom de l’innovation commerciale, tandis qu’un autre incarnerait les Galeries Lafayette contestant la légitimité du partenariat.

En définitive, l’évolution de Shein, du pop-up store dijonnais de juin 2025 à l’annonce du partenariat avec la Société des Grands Magasins en octobre de la même année, illustre avec acuité les bouleversements actuels de la distribution. L’entreprise incarne la transition d’un modèle numérique pur vers une stratégie multicanale, proche des DNVB, mais son implantation en France révèle aussi les fractures du secteur : opposition entre prix bas et positionnement premium, tension entre innovation commerciale et devoir de vigilance, fragilisation de contrats établis.

Pour les enseignants d’économie-gestion, ce cas constitue une ressource précieuse : il combine actualité brûlante, complexité analytique et pertinence directe pour les programmes et référentiels de STMG et de BTS.

Et si jamais vos élèves vous demandent si Shein vend aussi des fiches de révision pas chères : la réponse est non, mais après tout, ce serait cohérent avec leur stratégie multicanale… 

 

Belle lecture à tous

Mohamed Elouifaqi

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